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nicolas gauthier - Page 27

  • Conversation avec Alain de Benoist... (5)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque l'affaire Cahuzac et ses suites...

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    L’honnêteté n’a jamais été gage de compétence…

    Après Jérôme Cahuzac, le rabbin Gilles Bernheim surpris en flagrant délit de mensonge. Sans compter ces statistiques concernant ceux qui mentent sur leurs CV pour leurs entretiens d’embauche. Et ces gens dont on a l’impression qu’ils mentent en tout et en permanence. Ambiance délétère ou phénomène vieux comme le monde ?

    François Hollande avait promis une « République exemplaire ». Je trouve que Jérôme Cahuzac est un homme parfaitement exemplaire. À une époque où l’on n’est plus censé vivre mais « gérer » son existence, et où « réussir » signifie gagner plus d’argent que les autres, il a parfaitement intériorisé la règle implicite de notre temps : « plus » est toujours synonyme de « mieux », et les moyens d’acquérir plus comptent pour peu de choses par rapport à cette fin. L’État de droit libéral se veut neutre sur le plan des valeurs. Au prétexte que ce serait discriminer entre des choix individuels tous parfaitement légitimes, il n’a rien à dire sur ce qu’Aristote appelait la « vie bonne ». Dans cette optique, le politique ne peut être porteur d’aucune dimension éthique, puisqu’on ne peut en son nom promouvoir aucune conception du bien commun. La société se définit dès lors comme une simple addition d’individus autosuffisants. La corruption généralisée en est la conséquence.

    Cela dit, les cas individuels n’ont guère d’intérêt. Dans l’histoire, il y a d’une part les acteurs ; de l’autre, les dynamiques, les logiques et les structures. C’est à ces dernières qu’il faut surtout s’intéresser. Le système libéral est un système qui prétend que la logique de l’intérêt et le droit procédural suffisent à faire tenir ensemble une société. Le capitalisme fait toujours primer la logique du profit sur toute considération morale. Qu’est-ce que la logique du profit ? C’est la logique de la valorisation toujours croissante du capital. Autrement dit, faire toujours plus d’argent avec de l’argent. C’est pourquoi le capitalisme exige la marchandisation généralisée (du travail, de la terre, de l’art, de la culture, de la santé, des corps, des organes, etc.) et la circulation généralisée de toutes marchandises. La question qui se pose est alors de savoir comment sortir du système de l’argent ?

    Élisabeth Lévy stigmatise cette volonté de transparence voulant que tout un chacun déballe son patrimoine en place publique. Votre avis ?

    Ceux qui possèdent des comptes à l’étranger ne le diront évidemment pas quand ils fourniront l’état de leur patrimoine. Ce déballage ne sert donc strictement à rien. Il relève d’un voyeurisme qui n’est pas très éloigné de la culture de l’excuse : nous sommes nuls, mais voyez comme nous sommes honnêtes. À ce rythme-là, on finira par découvrir que Roselyne Bachelot n’est plus vierge et que Pierre Moscovici a oublié de déclarer dix-sept cuillères à café héritées de son grand-père pour lesquelles il n’a pas de facture ! La volonté de « transparence » est d’inspiration totalitaire, car il y a des opacités bienfaisantes. Quant à la lutte contre les paradis fiscaux, elle prête plutôt à sourire. Les plus grands paradis fiscaux actuels s’appellent la City de Londres et Wall Street. Les paradis fiscaux de l’avenir seront, eux, des paradis immatériels.

    L’honnêteté est-elle véritablement une vertu politique, sachant que certains incorruptibles furent de féroces massacreurs, tandis que des corrompus notoires ont pu se montrer fins politiciens ?

    L’honnêteté n’a jamais été gage de gentillesse ni de compétence. Et l’on peut en effet préférer des corrompus qui font au moins une bonne politique à de vertueux impuissants. Mais quand un chômeur ou un retraité apprend que Carlos Ghosn, patron de Renault et Nissan, gagne 35.000 euros par jour (12 millions d’euros par an), il n’a pas besoin de s’interroger sur l’origine de cet argent pour s’indigner. La somme seule suffit à choquer ce que George Orwell appelait la « décence commune ». Il serait surtout temps de comprendre que la politique et la morale ne sont pas la même chose, ou plus exactement, comme le disait Julien Freund, que la politique a sa propre morale, dont l’objectif est de servir le bien commun – un bien qui n’est pas la somme des biens particuliers, mais un bien indivisible dont tous les citoyens bénéficient ensemble. Pas plus qu’une économie nationale n’est comparable à un budget familial, la morale en politique ne peut être calquée sur la morale privée. Pour ne donner qu’un exemple, l’hospitalité n’a pas le même sens selon que l’on parle d’un individu ou d’un pays…

    Quand Jérôme Cahuzac demande pardon, n’y a-t-il pas mélange des genres, entre confessionnal et tribunal ? Intrusion du religieux dans le politique ?

    Il s’imagine peut-être que péché avoué est à moitié pardonné. Dans son attitude, je vois en fait surtout la détestable influence des confessions publiques à l’américaine, héritées du puritanisme. Mais il y a pire. Si Cahuzac est condamnable, je trouve plus répugnant encore le spectacle de tous ces faux-culs qui, la main sur le cœur, assurent avoir été « trompés » et condamnent hautement les mauvais agissements d’un homme à qui ils ne reprochent en réalité que d’avoir été assez maladroit pour les avoir mis tous en danger en se faisant prendre. Tous les hommes politiques ne sont pas corrompus, mais ils sont tous partie prenante d’un système qui corrompt tout. C’est pour cela qu’ils sont tous discrédités. Lénine disait que les révolutions se produisent quand à la base on ne veut plus, et qu’à la tête on ne peut plus. On n’en est peut-être pas très loin.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 26 avril 2013)


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  • Conversation avec Alain de Benoist... (4)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque le mariage homosexuel et la contestation à laquelle il a donné naissance...

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    Frigide Barjot a fait avorter le mouvement !

    Si on ne vous a guère entendu sur la question du Mariage pour tous, votre revue, Éléments, a publié un copieux dossier qui réduisait à néant les théories du genre. Faut-il découpler ces deux questions ou sont-elles consubstantielles ?

    Le Mariage pour tous est réclamé par une minorité de minorité, qui représente au total moins de 1 % de la population. En Espagne, où le mariage gay a été légalisé en 2005, le mariage entre individus de même sexe ne représente que 0,6 % de l’ensemble des mariages. L’idéologie du genre (« gender »), elle, concerne tout le monde. Dans la mesure où elle prétend que les enfants sont à la naissance « neutres » du point de vue sexuel, où elle affirme que le sexe biologique ne potentialise en rien les préférences sexuelles de la majorité des individus, et que le sexe (il n’y en a que deux) doit être remplacé par le « genre » (il y en aurait une multitude, constituant autant de « normes » que les pouvoirs publics auraient le devoir d’institutionnaliser), elle aboutit en fait à nier l’altérité sexuelle, ce qui témoigne d’un confusionnisme total. L’idéologie du genre s’inscrit dans un fantasme de liberté inconditionnée, de création de soi-même à partir de rien. Avec elle, il ne s’agit plus de libérer le sexe, mais de se libérer du sexe. N’y voir, comme on le fait au Vatican, qu’un moyen détourné de « légitimer l’homosexualité » est pour le moins réducteur.

    J’ajoute que, dans un pays où deux enfants sur trois naissent désormais hors mariage, on ne peut pas dire que les hétérosexuels apparaissent aujourd’hui comme de très crédibles champions du « mariage traditionnel » (qui n’est en fait rien d’autre que le mariage républicain). Aujourd’hui, d’ailleurs, il n’y a plus guère que les prêtres et les homos (ce sont parfois les mêmes) pour vouloir se marier. Quant à ma position personnelle, elle se résume en une formule : je suis pour le mariage homosexuel et contre le mariage des homosexuels. En clair, je pense que le mariage classique, dans la mesure où il est une institution fondée en vue d’une présomption de procréation, ainsi que le montre son étymologie (du latin matrimonium, dérivé de mater, « mère »), doit être réservé aux couples hétérosexuels, mais je ne suis nullement hostile à un contrat d’union civile permettant à des personnes de même sexe de pérenniser leur union. Je suis favorable, par ailleurs, à l’adoption pour tous, mais hostile à l’adoption plénière dans le cas des couples homosexuels. En fait, concernant le mariage, tout est affaire de définition : soit on y voit un contrat entre deux individus, soit on y voit une alliance entre deux lignées. Ce n’est pas la même chose.

    Que vous a inspiré la mobilisation des trois manifestations organisées par Frigide Barjot, à laquelle certains ont reproché la dimension « attrape-tout », quand ils ne la traitaient tout simplement pas de « conne », tel un hebdomadaire d’extrême droite bien connu ?

    Frigide Barjot a eu parfaitement raison de ne pas donner une coloration confessionnelle ou homophobe à ces manifestations. Mais je voudrais quand même faire une remarque. Les adversaires du Mariage pour tous n’ont pas hésité à présenter le mariage gay comme un « bouleversement anthropologique » ou un « changement de civilisation » (ce qui est un peu exagéré). Question : quand on allègue un enjeu aussi apocalyptique, est-il raisonnable de se rassembler autour de quelqu’un dont le nom est synonyme de dérision ? C’est un peu comme si l’on lançait un mouvement pour le respect des victimes d’un génocide sous le nom de Prosper yop la boum !

    Ce que je reprocherai à Frigide Barjot, c’est d’avoir fait preuve de légalisme excessif et de n’avoir pas compris qu’une manifestation a d’autant moins à respecter la légalité qu’elle entend lui opposer une légitimité. N’ayons pas peur des mots : une manifestation est un acte de guerre politique. On y est appelé à prendre et à donner des coups. En bref, c’est une épreuve de force. Vouloir éviter cette épreuve de force est une faute grave. Avec des défilés familiaux bon enfant, rose bonbon Bisounours, on montre qu’on existe, mais rien de plus. On n’est pas en position d’exiger quoi que ce soit. La plus grande erreur a été d’obtempérer à l’interdiction de défiler sur les Champs-Élysées. Il fallait, au contraire, maintenir le mot d’ordre, surtout quand on se flatte de mobiliser plus d’un million de personnes. Aucune force de police ne peut barrer l’accès d’une artère quelconque à un million de manifestants ! En désavouant ceux de ses partisans qui tentaient de déborder les forces de l’ordre, Frigide Barjot a fait avorter le mouvement qu’elle avait elle-même déclenché, alors que celui-ci était en train de se transformer en vague de fond contre le régime.

    Vous faites allusion à l’extrême droite. Laissez-moi vous dire que vous avez tort de lui prêter attention. Cela fait un siècle au moins qu’elle n’a plus rien à dire. Aujourd’hui, elle en est encore à croire que la France est dirigée par des socialistes, ce qui montre qu’elle n’a vraiment pas les yeux en face des trous (et subsidiairement, qu’elle n’a pas la moindre idée de ce qu’est le socialisme).

    D’autres encore prétendent que les actuels enjeux politiques et sociaux seraient prioritaires vis-à-vis de leurs actuels homologues sociétaux. Ont-ils raison ?

    Tous les sondages montrent que la situation économique et sociale constitue le principal sujet de préoccupation des Français. Par comparaison, les réformes « sociétales » apparaissent comme autant de procédés de diversion, alors que les plans de licenciement se multiplient et que l’emprise du capital se resserre un peu plus tous les jours. Il faut être conscient, cependant, que le libéralisme forme un tout. Le libéralisme sociétal de la gauche et le libéralisme économique de la droite reposent sur les mêmes postulats fondamentaux, à savoir la primauté du droit naturel des individus à « s’autodéterminer » comme seule instance normative de la vie en société. L’un et l’autre relèvent d’une même libéralisation de l’économie générale des échanges humains. Il est évident que c’est en régime capitaliste que l’individualisme hédoniste trouve le mieux à s’épanouir : ni morale, ni frontières. C’est ce qui explique le ralliement de tant de « repentis» de Mai 68 au modèle du marché.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 avril 2013)
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  • Conversation avec Alain de Benoist... (3)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la construction européenne et la montée en puissance des pays « émergents »...

     

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    Conversation avec Alain de Benoist... (3)

    De longue date, vous avez été partisan de la construction d’une Europe fédérale. Mais l’Europe qu’on nous vend aujourd’hui aurait plutôt des airs de jacobinisme. Votre avis ?

    Ceux qui décrivent l’Union européenne comme une « Europe fédérale » montrent par là même qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’est le fédéralisme, et plus spécialement le fédéralisme intégral, tel qu’il a été défini par Alexandre Marc, Robert Aron ou Denis de Rougemont. Dans un système fédéral, les problèmes doivent être résolus au plus bas niveau possible, seules remontant vers le haut les décisions qui ne peuvent être prises aux échelons inférieurs. C’est ce qu’on appelle le principe de subsidiarité ou de compétence suffisante. L’Union européenne s’est organisée selon le principe inverse, qui est un principe d’omnicompétence : une Commission de Bruxelles dont les membres n’ont aucune légitimité démocratique décide souverainement sur à peu près tout, du haut vers le bas. C’est en cela que l’Europe est très profondément jacobine.

    La construction européenne s’est opérée dès le départ en dépit du bon sens. On a d’abord misé sur le commerce et l’industrie au lieu de miser sur la politique et la culture. Après la chute du système soviétique, au lieu de chercher à approfondir ses structures politiques, l’Union européenne a choisi de s’élargir à des pays surtout désireux de se rapprocher de l’OTAN, ce qui a abouti à son impuissance et à sa paralysie. Les peuples n’ont jamais été réellement associés à la construction européenne. Enfin, les finalités de cette construction n’ont jamais été clairement définies. S’agit-il de créer une Europe-puissance, aux frontières bien délimitées et qui puisse jouer son rôle dans un monde multipolaire, ou une Europe-marché, noyée dans une vaste zone de libre-échange sans considération des données de la géopolitique ? La crise de l’euro a encore aggravé les choses. La souveraineté dont les nations (et les régions) sont progressivement dépossédées disparaît dans un trou noir sans qu’émerge pour autant une souveraineté européenne.

    Vous étiez également partisan d’une union entre l’Europe et ce qu’on appelait naguère le « tiers-monde », c’est-à-dire ces nations qu’on donne aujourd’hui pour « émergentes ». Avec le recul, maintenez-vous cette position, et que vous inpire le dernier sommet du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ?

    Mon livre Europe, Tiers monde, même combat, publié chez Robert Laffont en 1986, défendait l’idée d’une Europe autonome, s’appuyant sur les pays du tiers-monde qui se voulaient eux-mêmes indépendants des blocs. C’était l’époque des « non-alignés ». Je souhaitais que l’Europe ne s’alignât ni sur la sphère d’influence soviétique ni sur la sphère d’influence américaine. Je nourrissais aussi de la sympathie pour des pays qui, contrairement à ce qui s’est passé chez nous, n’avaient pas encore liquidé leurs sociétés traditionnelles. Vous vous souvenez sans doute que, dans son discours de Dakar, l’abominable Sarkozy, fier héritier des Lumières, faisait reproche aux Africains de se vouloir « en harmonie avec la nature » et ne donner dans leur imaginaire aucune place à l’« idée de progrès ». J’aurais plutôt tendance à les en féliciter. Aujourd’hui, le monde a changé mais mon intuition reste la même. Je vois avec sympathie la montée en puissance des pays « émergents » dont le dernier sommet du BRICS – une alternative à Bretton Woods et à Davos – apporte la confirmation. La grande question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le nouveau « Nomos de la Terre » sera un universum ou un pluriversum, c’est-à-dire si nous nous dirigeons vers un monde unipolaire, soumis de fait à la thalassocratie américaine, ou vers un monde multipolaire où les grands foyers de culture et de civilisation pourront être autant de pôles de régulation par rapport à la globalisation. L’éradication des singularités collectives, la suppression progressive des peuples et des cultures au profit d’un grand marché planétaire homogène sont à mon sens l’un des plus grands dangers actuels. L’humanité n’est vraiment riche que de sa diversité. L’« émergence » des pays de l’ex-tiers-monde peut nous aider à la préserver.

    De même, l’actuelle Commission européenne paraît imprégnée d’esprit nordique, soit à la fois puritain – politiquement correct –, décadent – avancées sociétales pour tous – et d’inspiration ultralibérale, tradition capitaliste anglo-saxonne oblige. Et donne, de fait, l’impression de concentrer ses attaques contre les « PIGS » (Portugal, Italie, Grèce, Espagne), peuples de culture catholique et orthodoxe, chez lesquels on travaille pour vivre alors que d’autres préfèrent vivre pour travailler. On se trompe ?

    Ce que vous dites n’est pas faux, mais reste un peu sommaire. Comme disait Voltaire, « dès qu’il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion ». Beaucoup de gens croient malheureusement que l’argent et la monnaie sont une seule et même chose. L’argent est cet équivalent universel qui permet de ramener toute qualité à une quantité de l’ordre du plus ou du moins. Dans un monde où l’on ne produit les choses que pour être achetées ou vendues, le règne de l’argent est indissociable du modèle anthropologique de l’Homo œconomicus, qui n’est mû que par le désir de maximiser en permanence son meilleur intérêt matériel. Le type dominant de notre époque, qui est le type du narcissique immature, s’appuie tout naturellement sur l’axiomatique de l’intérêt, qui tend à rabattre toute valeur sur la seule valeur d’échange. Pourtant, que ce soit dans le Sud ou le Nord de l’Europe, je pense que les classes populaires restent convaincues que la capacité de l’être humain à agir indépendamment de ses seuls intérêts égoïstes demeure le fondement même de toute attitude honorable. Voyez sur ce point le dernier livre de Jean-Claude Michéa.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 avril 2013)
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  • Conversation avec Alain de Benoist...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y rebondit sur quelques sujets d'actualité...

     

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    Les reniements du PC ne m'inspirent que du dégoût

    Le PCF vient d’abandonner son historique marque de fabrique, la faucille et le marteau. Il est vrai, qu’en France, il y a de moins en moins d’ouvriers et de paysans. Nonobstant, que vous inspire ce qu’il faut bien nommer un reniement ?

    Ce que devrait inspirer tout reniement : un extraordinaire dégoût. Je n’ignore rien, bien sûr, de toutes les pages noires de l’histoire du Parti communiste français. Celui-ci n’en a pas moins représenté durant des décennies une immense espérance pour des millions de travailleurs. Au fil des années, le PC a progressivement tout largué : la révolution, la grève générale, la dictature du prolétariat. C’est aujourd’hui un parti social-démocrate, qui se soucie plus de « lutter contre l’exclusion » au nom des droits de l’homme (dont Karl Marx avait fait une critique ravageuse) que de défendre le peuple contre l’emprise du Capital. La faucille et le marteau étaient précisément un symbole qui renvoyait au peuple. Je vous signale que celui-ci n’a pas disparu (les ouvriers et les employés constituent toujours la majorité de la population française) et que la guerre de classes bat plus que jamais son plein. Mais regardez les dirigeants actuels du PC : Marie-George Buffet n’évoque pas vraiment Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle a l’air d’une petite ménagère ménopausée comme les autres. Pierre Laurent ressemble à n’importe quel employé de bureau (c’est d’ailleurs ce qu’il est). La Charte d’Amiens (1906) proposait aux travailleurs de lutter pour la « disparition du salariat et du patronat ». Cet objectif aussi a été abandonné. À quand le remplacement de la faucille et du marteau, outils du prolétariat, par le sex toy et la télécommande ?

    Le PC se renie pour être plus « en phase avec son époque », ce qui montre qu’il n’a plus la moindre intention de la changer. Les curés avaient fait de même en abandonnant la soutane. Quant aux homos, je suis surpris que les adversaires du mariage gay ne voient pas à quel point leur désir de passer devant monsieur le maire traduit leur embourgeoisement. Il y avait autrefois une charge subversive dans l’homosexualité, et tous les homos que j’ai connus étaient très fiers de ne pas être « comme les autres ». Aujourd’hui, ils ne rêvent apparemment que de se faire des bisous en public, de pousser des caddies et de changer des couches-culottes. Mon ami Guy Hocquenghem s’en serait étranglé de rage. De quelque côté qu’on se tourne, on normalise ! C’est aussi cela la pensée unique.

    Toujours à propos de l’URSS et du PCF, cette phrase vous poursuit depuis longtemps : « Je préfère porter la casquette de l’Armée rouge que manger des hamburgers à Brooklyn… » Pouvez-vous la resituer dans son contexte d’alors et nous dire si vous aviez tort d’avoir eu raison un peu trop tôt, ou s’il s’agissait seulement d’une boutade ?

    Elle me poursuit d’autant mieux que je ne l’ai jamais prononcée. Voici le texte exact, vieux de trente ans et fort différent de celui que vous citez : « Certains ne se résignent pas à la pensée d’avoir un jour à porter la casquette de l’Armée rouge. De fait, c’est une perspective affreuse. Nous ne pouvons pas, pour autant, supporter l’idée d’avoir un jour à passer ce qui nous reste à vivre en mangeant des hamburgers du côté de Brooklyn. » (Orientations pour des années décisives, Labyrinthe, Paris 1982, p. 76). C’était évidemment une formule. Je voulais dire par là que je ne me sentais pas plus en phase avec le soviétisme qu’avec l’occidentalisme, qui m’apparaissaient l’un et l’autre comme deux moyens différents d’aliéner les libertés humaines. C’est dire que je n’ai jamais cru à la fable du « monde libre », alibi cache-sexe de l’impérialisme américain. L’effondrement de l’URSS a eu le mérite de faire apparaître cette fable en pleine lumière. Après le totalitarisme hard du Goulag, le totalitarisme mou du politiquement correct et la colonisation des imaginaires symboliques par les seules valeurs marchandes. Je ne suis pas sûr qu’on y ait gagné.

    Jadis, les médias dominants nous ont vendu la Guerre froide, bloc contre bloc, et s’acharnent désormais à nous refourguer le même bidule, Occident « chrétien » contre Orient « musulman ». À cette roulette truquée, on a toujours l’impression que le zéro sort à tous les coups…

    Le mot « Occident » n’a plus aucun sens aujourd’hui. N’en déplaise aux groupies du « choc des civilisations », l’Occident ne constitue pas plus que l’islam un ensemble unitaire et homogène. Pour croire que l’islam est partout le même, en Arabie saoudite comme en Indonésie par exemple, il faut vraiment n’avoir pas beaucoup voyagé. Pour ma part, je n’ai rien à dire aux islamologues de comptoir qui citent les hadîth comme August Rohling, autre « grand spécialiste », citait le Talmud à l’époque de la Revue internationale de Mgr Jouin. Plus comiques sont ceux qui nous expliquent doctement que musulmans et djihadistes, c’est du pareil au même, à un moment où, partout dans le monde, les premiers sont massacrés et hachés menus par les seconds. Quant à ceux qui veulent interdire le Coran (sic), je leur souhaite bon courage. Je croirai à leur sincérité quand ils réclameront l’interdiction de la Bible (en raison des innombrables appels au meurtre au nom de Dieu qu’elle contient) et des épîtres de saint Paul (qui proclame la « sujétion » des femmes et leur fait obligation d’être voilées, cf. 1 Cor. 11, 5-10). Mettre dans le même sac les problèmes de l’immigration, de l’islam, de l’islamisme et du djihadisme est vraiment la marque de fabrique des esprits paresseux.

    Sous l’apparence des choses, il n’y a aujourd’hui que deux fractures fondamentales. Celle qui, dans le monde musulman, oppose les sunnites et les chiites. Et celle qui sépare l’Europe des États-Unis, deux ensembles aux valeurs opposées et aux intérêts divergents, comme l’ont souligné tous les géopoliticiens, de MacKinder à Spykman. Carl Schmitt disait que l’histoire du monde n’est que l’histoire de la lutte entre les puissances de la Terre et les puissances de la Mer. Celle-ci correspond aujourd’hui à l’affrontement potentiel entre la puissance océanique américaine et le grand ensemble continental associant l’Europe et la Russie. On en verra les effets dans les années qui viennent. Pour l’heure, on peut dire que la Paix chaude a remplacé la Guerre froide.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 mars 2013)

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  • "Pour savoir ce qui est aujourd'hui sacré, cherchez ce qui est tabou..."

    Nous reproduisons ci-dessous un court entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la situation du christianisme à l'heure de la démission du pape Benoît XVI...

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    A propos du christiannisme et de Benoît XVI...

    Entretien avec Alain de Benoist


    À en croire un ancien numéro de votre revue, Éléments, si le catholicisme du XXe siècle a vidé les églises, au moins aura-t-il empli les idées, notre monde étant constitué d’idées chrétiennes, non point devenues « folles », pour reprendre l’expression de G.K. Chesterton, mais « laïcisées ». Le diagnostic tient-il toujours la route ?

    Il a en tout cas été porté de longue date. L’avènement de la modernité se confond avec un mouvement de sécularisation qui doit s’envisager de façon dialectique. D’un côté, la religion perd sa place sociale et son rôle politique, désormais rabattu sur la sphère privée. De l’autre, les valeurs et les concepts chrétiens ne disparaissent pas ; ils sont seulement retranscrits en un langage profane. C’est en ce sens que la modernité reste tributaire de la religion. Le très catholique Carl Schmitt affirmait que « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologique sécularisés ». Il faisait lui-même un parallèle entre monarchie et monothéisme, entre déisme et constitutionnalisme (« Le Dieu tout-puissant est devenu le législateur omnipotent »). Karl Löwith et bien d’autres ont montré, de leur côté, que l’idéologie du progrès reprend la conception linéaire et finalisée de la temporalité historique qui, dans le christianisme, a remplacé la vision cyclique des Grecs : le bonheur remplace le salut, le futur se substitue à l’au-delà. L’idéologie des droits de l’homme tire pareillement son origine de l’idée chrétienne d’une égale dignité de tous les hommes, membres d’une famille unique. Les notions mêmes de sécularité et de laïcité appartiennent à la terminologie chrétienne. C’est la raison pour laquelle Marcel Gauchet a pu définir le christianisme comme la « religion de la sortie de la religion ».

    Vous n’êtes pas spécialement connu pour hanter les églises, mais, à titre personnel, que vous inspire le pontificat de Benoît XVI ?

    Benoît XVI a été dans son rôle. Il a beaucoup fait pour rapprocher les chrétiens des juifs. Il a dénoncé le « fondamentalisme islamique », sans préciser toutefois que ce sont surtout les musulmans qui en sont les victimes. Avec le motu proprio qui a réhabilité la messe traditionnelle, il a tenté sans grand succès de ramener les traditionalistes dans le giron de l’Église. Pour le reste, il est toujours comique de voir les médias lui reprocher de n’avoir pas été plus « en phase avec son époque », comme si la doctrine de l’Église (à laquelle nul n’est obligé d’adhérer) était une sorte de programme politique qu’on pourrait infléchir au gré des circonstances. Il est curieux également qu’aucun de ceux qui le présentent comme un « conservateur », que ce soit pour s’en féliciter ou pour le déplorer, n’ait rappelé que dans l’encyclique Caritas in veritate (2009), il s’était explicitement prononcé pour l’instauration d’un gouvernement mondial : « Il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité mondiale, telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII […] Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation. » (§ 67)

    En 2013, une chrétienté bousculée par l’islam et, surtout, par un monde de plus en plus sécularisé, a-t-elle quelque chose à apporter à une humanité tendant à perdre le sens du sacré ?

    Je fais partie de ceux qui pensent que le sens du sacré ne se perd jamais totalement : la production d’une individualité collective est déjà de nature religieuse. Même sur le plan politique, le sacré est une composante inéliminable du pouvoir dans la mesure où le pouvoir met en jeu le problème de la vie et de la mort. Toute époque a ses zones de sacré. Pour savoir ce qui est aujourd’hui sacré, cherchez ce qui est tabou. La chrétienté, qui n’a pas le monopole du sacré, est aujourd’hui menacée par l’individualisation et, surtout, la privatisation de la foi. Pour retrouver une visibilité publique et en finir avec la relégation du fait religieux dans la sphère de la conscience privée, l’Église s’appuie sur l’émergence de la « société civile ». On l’a bien vu avec la mobilisation des familles catholiques contre le mariage gay. Pour continuer d’avoir un impact sur une société sécularisée, l’Église se pose en autorité morale, en experte ès affaires humaines, voire en marqueur identitaire. Cela n’empêche pas qu’il n’y a plus que 5 % de pratiquants en France et que l’âge moyen des prêtres est de 75 ans. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a là quelque chose qui touche à sa fin.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 février 2013)

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  • Les snipers de la semaine... (56)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Boulevard Voltaire, Nicolas Gauthier lâche quelques belles rafales sur les médias et le gouvernement pour leur comportement à l'occasion du dénouement de l'affaire Florence Cassez...

    Florence Cassez :  ce n'est pas Jeanne d'Arc non plus !

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    - sur Causeur, Jean-Paul Brighelli exécute allègrement Django unchained, le dernier film de Tarantino, actuellement sur les écrans...

    Blockbuster et autres facéties cinématographiques

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